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On ne tombe pas amoureux d’un taux de croissance


Quelques heures après les résultats du premier tour de la présidentielle, la déception pour le quart (ou plus) de la population qui a rêvé d’un autre modèle de société est immense. Il ne reste que deux candidats, l’une réactionnaire, l’autre conservateur. La première, dont l’entourage et l’héritage intellectuel qu’elle essaie de masquer ne laissent aucun doute sur ses orientations. Le second en valeureux combattant du camp du « bien » qui n’est rien d’autre que le défenseur de la direction prise par la société depuis 30 ans, celle du libéralisme autoritaire. Je ne parlerai ici que du second, la première portant un projet sinistre qui ne vaut pas qu’on s’y attarde.


Quel monde nous prépare-t-il donc, lui qui est si confiant, qui parle avec ses ouailles de rendre à la France son optimisme ? Vous le voyez, vous le savez bien, ces libéraux semblent complètement inconscients aujourd’hui. Au fond, ils ne sont plus crédibles. Dans ce monde où la nature meurt, où la nourriture devient plus chère, l’eau douce plus rare, les déplacements plus restreints, les catastrophes naturelles plus fréquentes et plus intenses, les pandémies plus répandues, les migrations pour fuir des terres devenues inhabitables plus nombreuses, les animaux plus exploités, les riches toujours plus riches … dans ce monde qui est déjà le nôtre, de quoi nous parlent-ils ? Qu’espèrent-ils ? De quoi rêvent-ils ?


Du retour de la croissance, elle effacera tous les problèmes !


Nous vivons déjà dans un monde à + 1,1°C. Quel sera notre seuil de résistance ? + 1,5°C ? + 2°C ? + 3°C ? Attendons-nous de vivre dans un monde tout simplement inhabitable à + 5°C pour enfin contre-attaquer et proposer un autre horizon que celui de la culture dominante (partagée d’ailleurs par la candidate finaliste) qui est en train de détruire la vie et nos vies ? A ce moment-là, pensez-vous qu’ils continueront à nous parler de leur taux de croissance ? La réponse est oui, sans hésitation. Ils nous l’opposeront même : vos propositions nuisent à la croissance, vous voulez la fin de l’emploi, vous abandonnez les plus pauvres, vos activistes pourrissent la vie des honnêtes travailleurs… Ils le font déjà alors qu’ils connaissent le problème, pourquoi changeraient-ils ?


Aujourd’hui, ils ne nous proposent rien d’autre que la recette qui a fait la “réussite” de notre modèle de développement, cette même recette qui a accéléré la prédation du monde et nous a précipités dans un piège. Soit on continue à croître, cela tient à peu près à court terme et on ferme les yeux sur plus tard. Soit on arrête. Ils savent que leur logiciel est obsolète, mais ils ne savent pas faire autrement. Reconnaître l’erreur coûterait trop cher ; penser à demain, à notre avenir réel ne fait pas gagner les élections d’aujourd’hui.


La dissonance entre la réalité et leurs promesses est si grande, et si visible, qu’ils ont inventé la croissance verte, comme dernier refuge à leurs illusions productivistes. On pourrait découpler notre impact sur l’environnement de la croissance économique, c’est-à-dire continuer à produire plus tout en réduisant l’impact global de cette production. La proposition est si grossière que pour l’Agence européenne de l’environnement, pourtant pas un repère d’affreux décroissantistes, ce découplage semble "peu probable". Le GIEC quant-à-lui vient d’émettre de sérieux doutes sur cette possibilité. Il s’agit donc maintenant de détruire méthodiquement ce discours hégémonique et de briser les illusions qu’ils (se) fabriquent.


La quête de croissance est la cause de notre problème aujourd’hui, elle n’en est certainement plus la solution. D’objecteurs de croissance (qui de sérieux aujourd’hui ne l’est pas ?), nous devons devenir des partisans de la décroissance. Il est l’heure de franchir le cap. Si le terme peut a priori faire peur, il est de ceux qui ne laissent pas indifférents. Il est de ceux qu’ils ne pourront pas nous prendre comme la transition écologique ou le développement durable. Il est de ceux qui finiront par s’imposer, qu’on le veuille ou non.


Face à leur croissance débile mais mortelle, nous devons proposer un autre chemin à la fois plus sérieux et plus beau. La décroissance prospère est une proposition qui force la rupture. Nous voulons la décroissance parce qu’il n’est plus possible de croire que le « plus de croissance » nous permettra de faire à chacun une place digne dans la société. Cette proposition est dépassée, il s’agit d’en tirer sérieusement les leçons. En revanche, la décroissance n’est pas le « moins de croissance » pour tous, ce sera le moins de croissance pour ceux qui ont trop. La redistribution et le partage du pouvoir social et économique sont la seule solution pour à la fois réussir à consommer moins, car on le doit, et à vivre collectivement mieux, car on le veut. La décroissance et les efforts qui en découlent seront portés par ceux qui en ont les moyens.


Pour tous les autres, ce sera une plus grande prospérité. Nous ne courrons plus pour obtenir leurs emplois stupides, ces bullshits jobs dont beaucoup trop de gens se satisfont en compensant leur mal-être par une surconsommation abrutissante calquée sur un modèle de bonheur préfabriqué. Nous ne perdrons pas notre vie à vouloir la gagner. Il nous faut investir le champ culturel, travailler les symboles, c’est le plus important. En effet, beaucoup de nos actions sont mises en œuvre, non pas pour ce qu’elles sont, mais pour acheter le regard de l'autre. Alors n’achetons pas le leur. Nous devons sortir de cela, les ridiculiser. Au fond, ils ne sont plus sérieux et réalistes, ils sont incapables et dangereux. Prenons leur place mais pas leurs costumes. Faufilons-nous partout ! Prenons leur pouvoir mais pas leurs rêves, forgés à une époque désormais révolue.


Sans peur et sans crainte, ringardisons-les. Pensez à leurs têtes quand nous leur dirons que ce qui nous fait le plus rêver, ce n’est pas le retour de leur croissance, mais la décroissance prospère.


Louis Fidel

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