Le système de croissance économique dans lequel nous vivons est fondé sur un individualisme exacerbé et sur une conception extrêmement simpliste du concept de propriété privée. Ces deux dogmes empêchent la construction d'un véritable mouvement populaire pour la décroissance en même temps qu'il favorise la surexploitation des Communs environnementaux et sociaux.
Dans un livre resté célèbre, le biologiste américain J. Hardin défend la thèse de la tragédie des communs. Selon lui, la rivalité générale pour des ressources en libre accès mène nécessairement à leur surexploitation car aucun utilisateur n’a intérêt à la coopération. Il prend l’exemple d’un pâturage dans lequel chacun pourrait librement laisser paître ses bêtes. Dans ce contexte, tous les éleveurs ont intérêt à solliciter de plus en plus la ressource commune pour maximiser leur utilité personnelle. Petit à petit, le pâturage perd de sa verdure et de sa fertilité, jusqu’à sa destruction complète. Face à cet écueil, la privatisation a été massivement retenue comme moyen de gestion des biens communs. Un éleveur détient la propriété exclusive sur un pâturage à l’exclusion de la collectivité. Il serait ainsi incité à préserver, entretenir et pérenniser ce bien.
Pourtant, les exemples de mauvaise administration des biens collectifs soumis au régime arbitraire d’une propriété privée univoque sont indénombrables. Ainsi, au niveau environnemental, la privatisation des forêts mène par exemple à l’apparition de monocultures industrielles maximisant le profit de l’exploitant au détriment de la biodiversité. Au niveau social, le développement d’un modèle de gestion privée des institutions publiques comme l’éducation, la santé ou la police a conduit à des impasses aux effets catastrophiques. L’apparition de la tarification à l’activité a par exemple radicalement transformé le modèle de gestion des hôpitaux français. Les centres de santé sont incités à produire les actes les plus rentables pour maximiser leur budget au détriment des besoins réels du patient. Autrement dit, la privatisation des biens collectifs, loin d’assurer leur préservation, favorise une gestion court-termiste et fondée sur la maximisation de l’intérêt individuel du propriétaire, souvent pécunier. Les valeurs environnementales et sociales de ses biens, pourtant intrinsèquement constitutives de leur identité, sont complètement effacées.
Pour éviter cet écueil, les bonnes volontés citoyennes doivent se mobiliser pour proposer, défendre, voire imposer une gestion collective des biens communs. En effet, seule l’implication de toutes les parties prenantes permettra une gestion optimale des communs sociaux et environnementaux. L’activisme citoyen doit permettre d’instituer un système d’administration des ressources rares fondé sur l’autogestion par les acteurs concernés, loin de l’arbitraire unilatéral et aveugle de la propriété privée.
Un tel système est défendu par la lauréate du Nobel d’économie Elinor Ostrom dans son livre « la gouvernance des biens communs ». Il est fondé sur un éclatement de la propriété privée et une répartition des différents droits qui la composent traditionnellement. Ostrom distingue notamment un droit d’accès au commun, un droit de gestion -qui désigne la définition des règles d’utilisation de la ressource-, un droit d’exclusion -qui consiste en pouvoir d’attribution du droit d’accès-, et un droit d’aliénation c’est-à-dire la capacité de vendre ou de céder un de ses droits. Ainsi dans le cas d’une forêt administrée en « commun », seraient distingués les usagers -promeneurs, cueilleurs, bûcherons-, les gestionnaires -riverains, pouvoirs publics, associations-, les gardiens et protecteurs -gardes forestiers, voisins, bénévoles-. Ces différents droits pourraient être vendus ou cédés selon des modalités prédéfinies. Il s’agit donc d’une administration proposant une nouvelle anthropologie et un nouveau modèle de gouvernement à mille lieues de celui institué autour de la propriété privée. Les hommes, capables de s’unir, de coopérer et de militer ensemble, partagent la propriété des biens et les gère en commun.
L’efficacité de ce modèle est avérée au niveau environnemental comme au niveau socio-économique. Elle dépend notamment de la vigueur de l’activisme citoyen.
La Zone à Défendre de Notre-Dame des Landes est une autre démonstration de l’efficacité du commun et des mobilisations collectives pour la défense des communs environnementaux. La réactivation en 2000 du vieux projet de construction d’un aéroport géant pour desservir l’Ouest de la France réveille les oppositions à une infrastructure qui artificialiserait 550 hectares, exproprierait des dizaines d’agriculteurs et nuirait significativement au bien-être des populations locales. En 2003, des militants de « camp action climat » sont invités par l’association des opposants historiques au projet pour occuper la zone. Une expérimentation de gestion commune de l’espace est mise en place. Les habitants et défenseurs de l’espace instituent une Assemblée des usages qui organise la gestion collective des terres et des espaces. En résistant pendant des années aux pressions publiques et privées jusqu'à l'abandon du projet en 2018, cette expérimentation a prouvé la résilience des systèmes d’autogestion et leur efficacité pour défendre et protéger les biens communs environnementaux.
Plus généralement, la gestion commune constitue une piste particulièrement prometteuse de renouvellement des modèles d’organisation économiques et sociaux. En effet, les biens communs sont des réserves de valeur particulièrement importantes à l’heure où l’économie s’appuie de plus en plus sur la créativité des travailleurs, sur les liens sociaux ou sur la connaissance pour produire. Dans son livre le commun comme mode de production, l’économiste italien Carlo Vercellone montre comment les communs sociaux tels que la connaissance ou le lien social sont accaparés par les grandes entreprises multinationales contemporaines afin de s’en constituer une rente de laquelle ils dépendent lourdement. L’exemple de Facebook est particulièrement parlant. L’entreprise n’est rien sans les relations créées par ses usagers et sans le contenu culturel ou intellectuel qu’ils publient. Il tire de ce bien commun un profit aussi colossal qu’indu sous prétexte de propriété d’un algorithme et d’une plateforme. Ainsi, la gigantesque valeur des communs sociaux est vampirisée par des entreprises privées. Cependant, ce constat amer est également paradoxalement libérateur. En effet, le pouvoir exercé par ces sociétés sur leurs employés et sur les consommateurs est purement cognitif et ne repose sur rien de matériel. Rien ne distingue fondamentalement le couchsurfing de AirBnB si ce n’est l’accaparation capitalistique. Ainsi, tous les citoyens peuvent se réapproprier collectivement les communs sociaux et leur valeur par la mobilisation et la mutualisation. Des initiatives locales ou d’ampleur mondiale sont possibles. C’est le cas de Wikipedia, de Linux mais aussi du covoiturage et des coopératives d’activité et d’emploi.
Fort de ces enseignements, Alter Kapitae défend un modèle d’organisation sociale fondée sur l’activisme citoyen et la gestion collective des biens communs. Ils permettent de protéger efficacement les communs sociaux et environnementaux.
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