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Pour la convergence des luttes écologiques et sociales


Le modèle de croissance économique sans fin adopté par les principaux pays développés de la planète se heurte à deux obstacles insurmontables. Il détruit systématiquement l'environnement tout en générant au niveau social pauvreté, inégalité et exclusion. L’injustice sociale et la catastrophe écologique sont deux sœurs engendrées par le même géniteur. Pourtant, paradoxalement, les luttes sociales et écologiques ont trop souvent été menées séparément par des mouvements militants ou politiques bien distincts. Afin qu’elles puissent espérer triompher, il faut les réconcilier.



« Fin du mois, fin du monde, même combat ». Le célèbre slogan scandé lors des manifestations des gilets jaunes évoque une convergence naturelle des luttes écologique et sociale. Il semble oublier que le déclencheur de ce mouvement populaire protéiforme est une mesure environnementale, l’augmentation de la taxe carbone sur les carburants. De fait, l’alliance annoncée est totalement invisible sur le terrain. Tout se passe comme si l’écologie restait une préoccupation bourgeoise et urbaine tandis que la pauvreté quotidienne impliquait un certain aveuglement sur la question environnementale.


Une analyse statistique de la Fondation Jean Jaurès sur les ressorts du vote pour le parti Europe Ecologie les Verts aux élections européennes de 2019 montre ainsi que la proportion des suffrages des classes populaires accordée au parti écologiste est extrêmement faible. Le de Montreuil, une ville de la proche couronne parisienne en cours de gentrification, est particulièrement symptomatique. Dans les quartiers huppés, 35% de la population vote écolo, tandis que dans les quartiers moins riches, la statistique tombe à 10%. Il semble donc bien que les classes populaires françaises se désintéressent des problématiques environnementales. Réciproquement, les partis écologistes ne prennent qu’insuffisamment en compte l’injustice sociale.


Pour autant, il est radicalement impossible d’envisager une transition écologique crédible sans justice sociale, et vice-versa. Pragmatiquement parlant, il n’y aura pas de majorité forte sans convergence des deux luttes. La participation des classes populaires est factuellement et sociologiquement nécessaire pour faire émerger un mouvement politique écologiste majoritaire en France et inversement. A l’heure actuelle, les luttes écologiques et sociales ne mobilisent que trop marginalement. La marche pour le climat et la manifestation du premier mai de 2019 n’ont réuni chacune qu’entre 150 et 300 mille personnes. C’est considérable mais insuffisant. La réunion des deux lancées insufflerait à n’en pas douter une dynamique nouvelle, tout en rendant la transformation écologique acceptable pour la vaste majorité de la population.



Cependant, cette logique pragmatique ne doit pas dissimuler le véritable argument massue. Une authentique transition écologique est d’abord et avant tout, consubstantiellement et nécessairement sociale. La prise de conscience de la catastrophe environnementale est très loin de suffire à sa résolution. Il est urgent de reconnaître les racines socio-économiques du mal. Les modes de production, de consommation et de gestion modernes fondés sur la croissance économique sont les causes directes du désastre. Les industries polluantes, le consumérisme ambiant, le productivisme aliénant et le technosolutionnisme angélique sont les principaux responsables. Produire toujours plus pour permettre un bonheur fondé sur le consumérisme et régler nos problèmes d’un grand coup de baguette technique : voilà le nœud du problème environnemental.



Dès lors, il ne suffit plus de manifester en criant des slogans éloquents du type « arrêter de niquer nos mers » ou « Macron t’es foutu, les pandas sont dans la rue ». Ces formules, au-delà de leur inventivité, illustrent la dépolitisation des mouvements écologistes contemporains et l’absence d’identification des causes socio-économiques du cataclysme environnemental. Ainsi, lorsque le mouvement Extinction Rebellion censure pendant ses actions les pancartes anticapitalistes ou jugées trop radicales en arguant vouloir se concentrer sur la lutte environnementale, il oublie qu’il ne peut y avoir de réponse à la crise écologique sans transformation profonde de la société et de l’économie. Ces militants sont donc condamnés à l’inefficacité. En clair, « l’écologie sans luttes sociales, c’est du jardinage ».


Reconnaitre la convergence des luttes écologiques et sociales, c’est s’apercevoir de deux choses. Premièrement, toutes les inégalités se recoupent. Dans leur étude "Inégalités et émissions de CO2" les économistes Thomas Piketty et Lucas Chancel soulignent notamment que le dixième de la population mondiale le plus fortuné est actuellement responsable de 50% des émissions de gaz à effet de serre. Deuxièmement et conséquemment, le « petit geste » individuel ne suffira pas à résoudre la crise environnementale en cours. Selon une étude du cabinet carbone 4, même avec un comportement héroïque, l’agrégation des efforts individuels ne permet de réduire l’empreinte carbone nationale que de 25%. L’impact est significatif mais loin d’être suffisant. Par conséquent, allier l’écologie et le social, c’est essentiellement penser systémique et lutter contre les inégalités.


Enfin, il y a une question en pratique assez simple. S'il nous est impossible de continuer à croître durablement et qu’il est nécessaire de décroître énergétiquement et matériellement, que faut-il faire ? Redistribuer et partager évidemment, car ce sont ceux qui ont le plus aujourd’hui qui peuvent décemment renoncer à une partie de leur confort, certainement pas ceux qui sont déjà en détresse sociale. La décroissance prospère est un horizon social de redistribution adapté aux nécessités écologiques.


Alter Kapitae soutient la convergence des luttes écologiques et sociales. Il n’y aura pas de transition écologique sans justice sociale !


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